Post by S.Jr.Germain on Jun 7, 2012 18:12:40 GMT -5
Prologue
Ville de Boston, le 1er juin 2032
David est celui qu’il nous faut pour cette mission, déclara Rémi d’une voix véhiculant une certitude absolue.
─ Pouvons-nous vraiment lui imputer une tâche aussi cruciale? demanda l’un des membres assis tout juste à côté de lui.
─ Il nous a déjà démontré l’étendue de sa valeur et il nous doit encore beaucoup, rétorqua sèchement Rémi. Si la vision d’Ibrahim est véridique, et elles le sont toujours, nous devons agir rapidement.
─ À quel moment précis le projet Susej sera-t-il complété? demanda un homme à la limite de l’obésité, complètement dénué de cheveux, mais arborant une barbe fournie et bien entretenue.
─ Absolument tout se déroule comme prévu. Nous allons être en mesure de récolter le fruit de nos efforts d’ici deux semaines, tout au plus.
Rémi demeurait à la fois calme et posé, comme à l’habitude. Par moments, certains affirmaient qu’il paraissait
même trop calme. Il ne s’agissait que de l’une des nombreuses raisons qui faisaient en sorte que Rémi Kaufman se trouvait toujours à la tête de l’association depuis sa création il y a environ huit ans. La Confrérie des Yeux Ouverts était une organisation ultra secrète soutenue par des individus extrêmement riches et puissants. Les principes directeurs du groupe se voyaient basés sur la préservation du libre arbitre de l’humanité, en s’assurant que celle-ci demeure à l’abri de toute forme possible d’aliénation. La prémisse était claire : les dieux ne devaient pas réintégrer notre Univers. La race humaine ne pouvait réellement s’épanouir qu’en l’absence de ficelles manipulées par des êtres divins.
─ Nous en avons donc terminé pour aujourd’hui, vous pouvez disposer. Excepté toi Simon.
Ce dernier regarda alors les autres quitter la salle tout en faisant craquer ses doigts l’un après l’autre, trahissant ainsi sa nervosité. Aussitôt que la porte se referma, le jeune généticien prodige plongea son regard directement dans celui de Rémi. La tension était palpable.
─ Qu’y a-t-il? demanda Simon.
─ Tu sembles mettre en doute mon jugement ces derniers temps.
Peu importe les circonstances, Rémi demeurait toujours très détendu et cela pouvait facilement rendre les gens nerveux.
─ Ce n’est pas toi directement… C’est à propos de David.
─ Je suis bien conscient que tu n’aimes pas cet homme, mais-
─ Ce n’est même pas un homme! l’interrompit Simon avec dédain. Nous ne pouvons jamais totalement faire confiance à un cyborg.
─ Si tu connais un meilleur agent pour cette mission, alors je t’écoute. Tu te dois de mettre tes émotions de côté pour le bien de tous et accepter le fait qu’il n’y ait pas de meilleure alternative.
Simon bouillonnait à l’intérieur, mais il savait bien que Rémi avait raison. David ne travaillait pour la Confrérie que depuis six mois, mais son dossier était sans l’ombre de la moindre tache.
La racine du problème gisait dans le fait que Simon portait une haine sans nom pour les cyborgs. Alors qu’il n’avait que 16 ans, son père accepta de jouer le rôle de cobaye pour le développement de nouvelles technologies cybernétiques. Il souffrait de dystrophie musculaire sévère en plus d’être asthmatique. Cette initiative promettait d’élever sa qualité de vie à des niveaux inespérés. Malheureusement, ce n’est pas tout à fait ce qui se produisit. Avec le temps, toute cette bio-ingénierie transforma son père en une coquille vide, principalement en raison des nombreux implants cérébraux nécessaires au bon fonctionnement du système. Il avait acquis des capacités extraordinaires, mais ce fut toutefois bien trop cher payé. Le père de Simon dut alors sacrifier sa propre humanité; la quasi-totalité de ses émotions ainsi que de sa personnalité fut enterrée sous un amas de pièces mécaniques et électroniques fusionnées à ses chairs.
En ce qui le concernait, son père décéda le 8 août 2026. Cela allait bientôt faire six ans, mais la douleur de cette perte était toujours aussi vive, comme un poignard qui s’enfonçait plus profondément dans ses côtes avec chaque inspiration.
─ Tu as raison, finit par admettre Simon à travers des dents serrées.
─ Je suis convaincu que tu peux comprendre l’importance de nos travaux. Tout ce que nous entreprenons, nous le faisons pour le futur de l’humanité. Il est impératif de ne jamais laisser l’émotivité prendre les commandes et guider nos actes. L’échec ne peut être considéré comme une option, alors il va de soi que nous devons utiliser nos meilleurs atouts.
─ Est-ce que tu veux que j’informe David de la suite des événements? demanda un Simon visiblement plus calme.
─ Richard est déjà en route afin de lui transmettre le dossier de sa mission.
─ Tu as pris la liberté d’agir avant d’obtenir le consentement du conseil?
─ Le temps joue contre nous, mon cher. La menace est à notre porte. De plus, à quand remonte ma dernière mauvaise décision? répondit Rémi avec un sourire en coin.
─ D’accord, j’abandonne, soupira Simon en lançant ses mains dans les airs, imitant ainsi un soldat qui capitule.
Sur ce, il empoigna sa serviette située à côté de son siège et quitta la pièce, l’acceptation pouvant se lire sur son jeune visage.
Rémi desserra le nœud de sa cravate avant de prendre son verre de scotch presque vide et d’en avaler le contenu d’un seul trait, tout en fixant le symbole de la Confrérie représenté sur le mur du fond de la pièce faiblement éclairée. L’emblème se voyait à la fois sobre et riche de significations : un œil géant dessiné avec de larges traits et abritant une pupille saillante, un testament qui démontrait que certains individus savaient ce qui se transpirait réellement dans l’Univers.
∞
Simon étala un sourire empli d’aménité à chaque personne qu’il croisa jusqu’à sa sortie du complexe, mais il se trouvait profondément absorbé dans ses pensées. Et si David n’était pas aussi bon qu’on le prétendait? Il n’avait peut-être jamais été véritablement mis à l’épreuve. Et si quelqu’un parvenait à démontrer que sa réputation était surfaite? Il ne restait que très peu de temps pour agir, puisque Richard se trouvait peut-être déjà en route vers la résidence du cyborg. Cela doit se faire ce soir, décida Simon. Il s’agissait là d’un excellent complément à ce qui était déjà prévu, une façon d’effectuer d’une pierre deux coups en joignant l’utile à l’agréable. Transporté par un gain soudain de motivation, il accéléra alors sa cadence en même temps qu’un sourire entendu se dessina sur son visage.